En novembre dernier, la joyeuse bande des 5.5 designers prenait la tête de la direction artistique des Puces du Design. Après 17 années et 34 éditions à s’exposer sur le pavé parisien, les Puces trouvaient alors un nouvel élan grâce à un nouvel emplacement (préférant le Paris Expo à Porte de Versailles aux pavés de Bercy Village) et l'arrivée vivifiante de ses « têtes chercheuses du design ». Pour l'édition printanière – du 18 au 21 mai 2017 – ceux que l'on aime surnommer les trublions du design sont une nouvelle fois fidèles à leur réputation en créant autant la surprise que le débat avec un projet-expo baptisé « Copies Originales ». Avec l’avènement des boutiques en ligne, une législation européenne floue et des procès coûteux et longs pour les marques, le monde du design a du faire face à ce fléau des temps modernes : la contrefaçon. Toujours soucieux d'interroger son époque, son métier mais aussi de sensibiliser le grand public, l'équipe du 5.5 designstudio réveille une nouvelle fois les Puces du design et les consciences. Événement qui méritait bien une rencontre avec l'un d'entre eux, Jean-Sébastien Blanc, co-fondateur et membre de la fameuse bande.

Marie Claire Maison : A l'automne dernier, vous avez pris la tête de la direction artistique des Puces du Design dans l'optique "de les réveiller". Comment on actualise un tel événement qui met en lumière les pièces cultes du passé ?

Vidéo du jour

Jean-Sébastien Blanc : « Nous avons pris la direction artistique des Puces du Design depuis 2016. C'est à dire que nous gérons la scénographie de A à Z, de l'identité visuelle au site Internet, en passant par les flyers. Il faut savoir que c'est l'histoire du design qui s'expose aux Puces, et forcément en vrais passionnés que nous sommes nous n'avons jamais manqué une édition de ce musée à ciel ouvert. D'autant plus que c'est Fabien Bonillo l'organisateur historique des Puces qui a édité notre porte-manteau avec sa maison d'édition La Corbeille. Le design ayant pris une ampleur considérable ces dernières années, mais aussi les tragiques événements de novembre 2015 ayant mis à mal certains événements en extérieur, Fabien a souhaité déplacer ce rendez-vous dans une superficie plus vaste et couverte. C'est là où il a fallu réfléchir à la place du design dans un salon, comment l'inviter dans un univers inattendu (Paris Expo Porte de Versailles), comment créer une ambiance, un lieu qui rappelle la profession.

On a voulu donner une dimension culturelle à l'événement en partant de plusieurs constats. On regarde trop souvent l'histoire du design comme une histoire qui appartiendrait au passé, alors que cette histoire est sans cesse en mouvement. Dans ces nouvelles Puces du Design, ce mouvement est symbolisé avec « la rue des designers makers », ces néo-artisans qui  créent, s'autoproduisent et s'auto-éditent. On a voulu un rendez-vous plus dans l'air du temps, avec la présence de cette jeune génération, mais aussi des maisons d'édition plus contemporaine comme Moustache. Les meubles qui se collectionnent aujourd'hui ont marqué notre histoire, ils sont la preuve d'avancées sociétales, de temps forts, mais il faut aussi apprendre à découvrir les meubles qui feront demain, apprendre à mixer les pièces ».



Dans cette logique d'apprendre à connaître et maîtriser les pièces cultes du design, vous avez conçu pour l'édition printanière des Puces une exposition qui risque (et qui espère) faire grand bruit sur le phénomène des copies dans le design. Quelle est la place de ce phénomène peu connu du grand public dans votre univers ?


« Il faut savoir qu'aujourd'hui il y a plus de copies vendues que d'originales. La copie est un sujet hyper sensible pour les designers. Face à elle, ils peuvent éprouver un vrai sentiment de vol. Bien sûr, les marques s'engagent contre ces copies, mais les démarches juridiques sont longues et onéreuses, ce qui peut facilement les décourager. Pourtant produire comme posséder une copie d'une pièce design est un acte illégal, au même titre que dans l'univers de la mode. Une fausse chaise Eames s'avère toute aussi illégale qu'un faux sac Vuitton par exemple, mais les gens ne prennent pas la mesure de cette illégalité. Ces pièces sont surmédiatisées et les faussaires vendent sans complexes sur Internet parfois même en accompagnant la pièce d'une photographie de l'originale et une biographie du designer à l'origine de la pièce. Pourtant ces modèles signés de grands noms du design atteignent le grand public sans qu'ils connaissent ni la marque, ni le designer. C'est un nom respect des droits de propriété. » 

Photo : Studio 5.5

Comment allez-vous dénoncer ce fléau qu'est la copie à travers votre projet ? Et ce projet a -t-il été difficile à monter ?


« Je ne vous cache pas que ce fut un projet très difficile à monter. Dans un premier temps, on voulait réunir plusieurs copies de différentes pièces design pour apprendre au public à les détecter. Mais c'est compliqué d'acheter des copies puisque c'est illégal ! Les marques nous ont aidé à trouver des copies, mais nous ne sommes ni expert, ni juge pour dire « ce sont des copies ». Les marques travaillent généralement main dans la main avec les douanes pour détruire les lots de copies. A travers ce projet « Copies Originales », nous proposons une autre solution . On a créé un scotch rouge pour signaler toutes les fausses pièces. Ainsi on propose aux clients de devenir les acteurs de cette lutte. Le caractère fonctionnel de la pièce design est ainsi conservé mais l'esthétisme à changer car le client enrubannera sa chaise de ce scotch à sa manière, c'est une démarche artistique. Ce rouleau de scotch sera vendu sur place, une manière de s'acheter une conscience et de se responsabiliser face à l'achat d'une copie.

Cette alternative pour combattre la libre circulation des copies va provoquer le débat car avec ce scotch on permet aux gens de créer une pièce unique qui aura de la valeur car elle sera une pièce de design à part entière ! Pour la scénographie, on a rassemblé les 20 pièces les plus copiées parmi lesquelles on retrouve la chaise standard de Jean Prouvé, le canapé LC2 de Le Corbusier, la chaise Eames... A côté d'elle, on a placé un énorme bulldozer qui symbolisera ce geste : faut-il détruire l'objet ou lui offrir une nouvelle vie ? »

Avec ce projet vous avez conscience de poser de vraies questions au grand public mais aussi à vos confrères dans le métier. Que répondez-vous à ceux qui vous rétorquent que tout le monde ne peut s'offrir une vraie pièce design par exemple ?


« Ça dépend de quel côté on se place. Il y a d'un côté, une opinion qui voudrait que les marques se gavent, qu'il y aurait un écart de prix exorbitant entre la production et la vente non justifiée. Or il faut rappeler que les designers vivent de ces créations, de ces droits d'auteurs. Mais en face il y aussi un fait dérangeant : prenons l'exemple de la chaise standard de Jean Prouvé produite en masse pour les écoles et les universités à la sortie de l'après-guerre, aujourd'hui devenue un objet de collection, un objet élitiste alors qu'elle a été dessinée pour être un bien public. Certes ces chaises se collectionnent aujourd'hui parce qu'elles sont emblématiques d'une époque. Mais est-ce que ça intéresserait Prouvé de savoir que sa chaise conçue pour des institutions publiques soit vendue à un prix exorbitant ou plutôt qu'elle touche un plus grand public avec la contrefaçon ? La question est légitime. »

Photo : 5.5 Studio

Avec ce projet et plus globalement les Puces du Design, vous et votre bande du 5.5 designstudio témoignez une nouvelle fois de l'impact du design sur nos vies. Vous pensez qu'il faudrait plus de politique dans le design, le rendre plus engagé ?

« Apporter des réponses a été notre souci dès le départ dans l'aventure du 5.5 Studio. On a toujours fait en sorte à travers tous nos projets à ce que le design joue un vrai rôle dans la vie quotidienne. Ce n'est pas l'esthétisme qui nous intéresse dans l'objet. Le design n'est pas un loisir pour bourgeois. Le design doit prendre en compte l'humain, se rendre accessible à tous. Certes il fait tourner une économie, c'est vrai, mais il est nécessaire de réaliser des objets plus légitimes, plus utiles. En vrai on pourrait arrêter de produire, on produit beaucoup trop et c'est malheureux de voir des designers qui s'enferment dans les tendances. »

Quels sont vos prochains projets après les Puces du Design?


« On vient de signer pour la station balnéaire, La Grande Motte - chaque année depuis 2013, des créateurs revisitent et réinterprètent la ville balnéaire emblématique des Trente Glorieuses à travers une série d'objets-, une collection balnéaire avec un tas d'objets dédiés à l'univers de la plage : matelas, coussin, parasol, dossiers inclinés...».

Photo : Jules Langeard

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Les Puces du design

Jeudi 18, vendredi 19, samedi 20 mai de 14h à 22h

Dimanche 21 mai de 10h à 19h

8 euros la journée 12 euros pour les 4 jours

Paris Expo

Porte de Versailles, HALL 3.1, Paris 15 ème

Plus d'informations : www.pucesdudesign.com