Entre l’artiste et le designer, la ligne est minime. Et pour ceux qui en douteraient encore, le parcours de Tom Dixon en est bel et bien la preuve. Né à Tunis, à la fin des années 50 - et donc par conséquent à l’aube du rock’n’roll - le garçon se destinait au départ à une carrière de musicien. Le destin - plutôt clément - lui réserve un tout autre chemin à emprunter. Passé par la case Chelsea School of Art, Tom Dixon débute comme bassiste dans un groupe de rock, les Funkapolitan. Nous sommes alors au début des années 80, l’Angleterre de Margaret Thatcher vit au rythme des grèves, du « London Calling » des Clash et du « No Futur » des punks. Accompagné de ses copains, il joue quelques concerts et singles avant de voir ses ambitions musicales réduites à néant après un accident de moto – sa seconde passion après la musique et bientôt le design. Au guitar hero succédera le designer star, mais cette information Tom Dixon l’autodidacte passionné l’ignore encore...

Du rocker contrarié au designer autodidacte

Sa seconde vie commence ici, au seuil d’une époque où tout le monde ne jure que par le plastique, et où lui s'intéresse au métal, au charme brut du style industriel. Abordée en premier lieu pour un usage pratique - à savoir réparer sa moto - la soudure interpelle le jeune débutant. Curieux et désireux d’apprendre par lui-même, il traîne dans les décharges de Portobello où il déniche des matériaux de récup qui donneront naissance à ses premiers meubles. Il multiplie les performances d’artiste dans des discothèques où il monte des meubles en direct. Un sacré énergumène qui intrigue… jusqu’en Italie. Rapidement repéré par l’éditeur italien Cappelini, il signe pour la marque à la fin des années 80 la « S-Chair », une pièce désormais culte qui lui ouvrira les portes de l’élite du design. Chaise dites « érotique » avec ses larges hanches et sa taille fine, la « S-Chair » fut à son époque victime de son succès : conçue comme une pièce unique, elle ne s'accordait pas aux exigences de la production en série de meubles. Sa notoriété en décidera autrement...

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Viendra ensuite la « Pylon chair » , simple structure inspirée des pylônes électriques qu'il décline en tables et porte-manteau. Son fauteuil « Link Easy » en fil d'acier galvanisé semble suspendu. Tom Dixon inventera ensuite des étagères dont le métal reflète la lumière ; elles en deviennent très légères tout comme les porte-manteaux en laiton, véritables sculptures. Il créera également des luminaires cultes, autrement dit reconnaissables entre mille. Ces derniers portent l’empreinte phare du designer : des suspensions sculptures teintées de mystère, des objets caméléons parfois complètement futuristes par leurs matériaux réflectifs. Feuille de métal, verre compressé, cuivre, chaque luminaire signé Tom Dixon s’impose comme une pièce magique, tendance et pourtant éternellement ancré dans un style industriel aux accents destroy chic.

 

L’esthétique de Tom Dixon n’a jamais déserté le cœur de l’époque où elle a vu le jour. Pures et dures à la fois, ses réalisations explorent, expérimentent une décennie foisonnante où l’industrie britannique était en berne mais où l’art a mis le feu aux poudres. L’amour du designer pour les matériaux industriels ne trouve pas seulement sa source d’explication dans l’Angleterre des eightees. Certaines de ses œuvres rappellent également des ustensiles de cuisine et les luminaires design de sa Tunisie natale. Il aime le côté précieux et chaleureux des matériaux qu’il convoque pour ses créations, comme le cuivre et le bronze. Il demeure fasciner par les qualités techniques des métaux et les méthodes de fabrication qui vont les amener à devenir objets.

Tom Dixon, un self-made-man par excellence

Au fil des deux décennies écoulées, son exploration des formes et des matières a pris de nombreux chemins de traverse. A la manière d’un Philippe Starck, il a touché à tout avec succès : des derbies à semelle cranté pour Adidas, un restaurant exceptionnelle pour le centre commercial Beaugrenelle à Paris, un bar à sandwichs pour Harrods à Londres mais aussi l’Hôtel Mondrian dans l’ancien Sea Containers à Londres… Outre les lieux nouveaux, les collaborations désirables, Tom Dixon a consolidé sa légende par son sens inné du spectacle notamment à deux reprises au Salon du Meuble de Milan en présentant ses nouveautés dans des cadres aussi exceptionnels que décalés : un cinéma porno en 2015 et un ancien monastère en 2016. Entre temps, de 1998 à 2008, il aura pris la casquette de directeur artistique de la marque Habitat et aura créé sa propre marque. Car s’il est star dans son domaine c’est aussi par son indépendance et sa distance prise avec les éditeurs.

Self-made-man par excellence, britannique par son pragmatisme, le créateur a lancé en 2002 sa propre firme pour produire ses collections de luminaires et d’accessoires déco. Une étape logique pour celui qui a débuté avec son seul désir d’expérimentation, et qui a par la suite tout connu :  travailler pour de grandes enseignes britannique ou produire pour des marques italiennes. Soucieux d’être en phase avec son époque, Tom Dixon a lancé sa propre maison avec ses propres boutiques aux quatre coins de l’Europe, une structure qui selon lui permet de s’intéresser à autre chose qu’à l’esthétique de ses objets. D’ouvrir son champ d’action pour vendre mieux, de s’intéresser aux questions nécessaires pour ses créations de marketing, de production et de communication. Artiste, oui, mais artiste pragmatique telle est la ligne de conduite du designer britannique. 

Sa propre marque et la signature de hauts lieux branchés pourraient lui suffire amplement mais l'homme n'aime rien d'autre tant que les défis. Le dernier en date, il l'a mené de front avec le géant suédois du meuble en kit IKEA. Cela fait près de deux ans que le duo planchaient sur un canapé révolutionnaire qui débarquera en France en février 2018. Son nom ? Delaktig. Canapé, lit d’appoint, fauteuil, méridienne, cette assise à tout faire promet d'offrir des possibilités infinies de composition et invite chacun à prendre part à la grande aventure du design. Malgré son pragmatisme apparent, Tom Dixon demeure un aventurier du design, sans cesse désireux d'expérimenter formes, matières et techniques. Il y a quelques années il découvrait le travail du chercheur allemand Wolf Hilbertz qui avait réussi à faire pousser des récifs artificiels dans la mer. Omnibulé par cette prouesse, quand suite à la Foire Design de Miami, il lui reste sur les bras des chaises en acier, il a pour idée de les immerger sous l'eau pour observer les effets. Près des Bahamas, une colonie de chaises prennent l'eau et deviennent le siège d'une expérimentation inédite. Cette anecdote dans le parcours de Tom Dixon témoigne du caractère résolument imaginatif du créateur, qui pratique tel un funambule émérite, l’art d’être à la fois dans le système - du point de vue productif et par son statut de star - tout en conservant le charme d’un punk qui dans son coin expérimente, pratique un do-it-yourself curieux et brut, une certaine forme de résistance à l'establishment.