Ils ont poussé sans faire de bruit au cœur de la grisaille. Ici, un jasmin ou un chèvrefeuille. Là, des framboises bien mûres, ici un petit potager. Chaque année, les jardins partagés gagnent du terrain sur l’asphalte. Les urbains, en mal de convivialité et éco-soucieux, en redemandent. On en dénombre désormais plusieurs centaines en France. Et près de cinquante à Paris, où le premier a germé en 2000.
Après quelques projets pilotes, à Lille et à Bordeaux, le "Jardin dans tous ses états", un réseau associatif, a entamé en 1997 un intense travail de lobbying : "Pour démontrer que ce sont de vrais équipements sociaux, et pas des gadgets, nous avons organisé des voyages à l’étranger", se souvient Franck David, membre du collectif.
À New York, le phénomène remonte en effet au début des années 70 : l’artiste Liz Christy se faisait remarquer en jetant des "bombes de graines" au-dessus des palissades de terrains en friche pour les végétaliser. En 1973, elle fonde le premier "community garden". Aujourd’hui, Big Apple en compte près de 600 !
Côté français, longtemps à la traîne, Paris favorise depuis 2001 l’éclosion de ces jardins collectifs avec son programme "Main Verte". La ville fournit aux habitants, via des associations, le terrain, l’eau, la terre, la cabane, la clôture. En contrepartie, le jardin doit être ouvert, organiser des animations publiques, et surtout, cultiver bio.

En photo, le plus grand jardin partagé parisien, le Jardin de l’Aqueduc, dans le 15e arrondissement, s’étend sur 800 m2.

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Pour quelques bouts de terre...

Yann Monel

Fruits, légumes, fleurs ? Parcelles individuelles, collectives, pédagogiques ? À chaque collectif son fonctionnement. Ces carrés de verdure dessinent un patchwork à l’image des personnalités de ceux qui les cultivent. Mais qui sont-ils ? "Il n’y a pas de typologie précise : des bobos, des prolos, des mamans, des retraités isolés, des enfants…", note Frédérique Basset, co-auteur d’un livre sur le sujet*. Si tous sont des citadins en mal de nature, leurs motivations divergent. Pour certains, c’est le plaisir de grattouiller son lopin en sortant du bureau, ou de décompresser au vert. "Avant, j’habitais en banlieue. Le jardin me manquait. Ici, j’ai réussi à m’enraciner", explique René.

Ces bouts de terre arrachés à la ville représentent aussi un moyen d’agrémenter l’ordinaire. Avec ses 500 mètres carrés, entre une voie de RER et des immeubles de briques rouges, le Jardin de l’Aqueduc est le plus vaste de Paris. Il possède sa mare, sa vigne, sa haie d’arbres fruitiers… et trois ruches, qui produisent 150 pots de miel de tilleul et d’acacia. Un pour chaque adhérent ! "L’an passé, j’ai récolté 2 kilos de pommes de terre, 15 potimarrons, des courgettes, des pâtissons, des haricots, des petits pois…", énumère Samantha avec fierté. Pour certaines familles, c’est autant d’économisé sur les courses du week-end.

En photo, le jardin Nomade dans le 11e à Paris.

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La convivialité avant tout

Yann Monel

Mais surtout, "au jardin", comme ils disent, des liens se tissent. Biner et bêcher devient un prétexte à la convivialité : une soupe avec la récolte du jour, un atelier peinture avec les enfants, un apéro entre amis. "Comme je discute avec les gens de passage, il me faut deux heures pour planter une salade !", s’amuse Chantal, au Jardin du Poireau Agile, à Paris. Entre deux pieds de tomates, toutes générations et cultures confondues, on se croise, on s’entraide. Aux Jardins du Ruisseau, à Paris, le jardinage n’est qu’un vecteur favorisant la mixité. Sur les 400 mètres de quai de l’ancienne Petite Ceinture, les plantations en terrasse ont remplacé le dépotoir originel. Ici, les deux tiers du terrain sont dévolus aux associations d’insertion et aux enfants du quartier, qui y apprennent que les carottes, les melons et les framboises ne poussent pas au supermarché...

En photo, le Jardin du Ruisseau a repris la coulée verte de l’ancienne petite ceinture dans le 18e.

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Un apprentissage citoyen

Yann Monel

Pour jardiner collectif, mieux vaut également s’armer de patience. Même si quelques mètres carrés suffisent, les friches se font rares. De l’idée à la création, plusieurs années peuvent s’écouler. Et la démarche collectiviste suscite parfois des prises de bec : Natacha s’étrangle encore en racontant comment quelqu’un a remplacé ses fèves par des pois de senteur ! Il faut aussi convaincre les accros au pesticide, rétifs à la culture bio. "Dans un univers très minéral et individualiste, c’est un peu la place du village", résume Frédérique Basset. Clochemerle version bitume ? "Plutôt un apprentissage citoyen, de l’écoute et du partage". En confiant la gestion d’espaces verts à leurs habitants, les villes leur permettent de cultiver de nouvelles façons de vivre ensemble. Et d’esquisser un nouveau paysage urbain, moins domestiqué, plus libre.

Renseignements sur www.jardinons.com
et "Jardins partagés. Utopie, écologie, conseils pratiques", éd. Terre Vivante, 23 €.

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