L’univers de la décoration comme celui de la mode n’est parfois qu’une affaire de cycles, de styles révolutionnaires qui débarquent aussi vite qu'ils disparaissent… et reviennent. C’est l’histoire même du style Memphis. Né à l’aube des années 80, en Italie, sous l’impulsion d’un groupe de designers désireux d’en finir avec le bon goût ambiant, le style Memphis a pendant près de 7 ans (seulement) mis de la couleur, de l’asymétrie et de la folie dans une époque qui commençait à en manquer sérieusement. Aujourd’hui, le voilà de nouveau sur le devant de la scène, remis au goût du jour par des créateurs et des marques bien décidés à casser les codes des diktats déco en injectant une dose d'énergie positive à des intérieurs trop lisses.
Une belle histoire pour un style insolite
« Stuck inside of mobile with the Memphis blues again » chantait Bob Dylan sur l’album culte Blonde on Blonde en 1966. Qui aurait pensé un jour que cette balade sixties au texte sans queue ni tête d’un Dylan poète sous acides allait donner naissance à un courant emblématique de l’univers du design ? Le célèbre designer italien Ettore Sottsass, père fondateur du mouvement Memphis, adorait l’esprit rock et à contre-courant de cette chanson, il s’en est servi très naturellement pour baptiser et définir le mouvement qu’il créa un soir de décembre 80 avec sa bande d’amis designers et architectes (Michele de Lucchi, Matteo Thun, Andrea Branzi, Shiro Kuramata, Martine Bedin, Nathalie Du Pasquier…). Le groupe Memphis était né et allait séduire la planète déco dès l’année suivante au Salon du Meuble de Milan. Comment ? Par sa radicalité et son désir d’en finir avec le design trop sage et les codes bourgeois où la forme était cantonnée à suivre la fonction.
Un design exubérant pour amorcer une révolution
Avec ce mouvement, Sottsass et sa bande voulaient en finir avec le bon goût ambiant. Les intérieurs bourgeois étaient chics et sobres avec des teintes crème, des tables en verre et des piètements tubulaires un peu partout. Le style Memphis militait lui pour des intérieurs hauts en couleur, où les matériaux chics s’associeraient à des matériaux kitsch. Ces trublions du design ne craignaient pas l’excentricité. Au contraire, ils marièrent l’inassociable. Bois, plastique, métal, stratifié s’unissaient sous des formes improbables. Il faut voir la bibliothèque « Carlton » de Sottsass aux allures d’immense totem pour le croire ou encore sa lampe « Tahiti » au look surréaliste pour saisir l’attachement du mouvement aux silhouettes extravagantes.
Outre, ce goût pour les formes asymétriques, ce style se démarque par ses couleurs primaires. Rouge, jaune, bleu et vert sont les teintes favorites du clan Memphis. Elles font références à l’anti-bon goût prôné par le groupe et témoigne de son attachement à ce qui se passe alors dans les rues et dans l’art contemporain. Nous sommes à l’aube des années 80, le pop art et le graffiti s’imposent dans les rues et dans les galeries d'art avec des artistes comme Keith Harring. Sur les objets et meubles créés sous l’étendard du style Memphis, les motifs jouent un rôle majeur dans la perception de ce style hautement décalé. Ils sont kitsch et géométriques semblent tout droit sortis d’un cartoon. Ettore Sottsass et sa bande réinjectent du fun et de l’énergie à l’univers du design.
2018, le style Memphis est de retour
Pourquoi reparler du courant Memphis 30 ans plus tard ? Parce qu’il n'a jamais été autant d'actualité. Il semblerait qu’aujourd’hui, les créateurs de tous bords (mode comme déco) soient friands de s’offrir un bulle de fantaisie dans un monde de plus en plus sérieux où la sagesse du style scandinave commence à en ennuyer certains. La vague du style Memphis déferle donc de nouveau pour réveiller l’ambiance aussi bien dans les boutiques branchées que dans les magazines de déco ou sur les podiums de mode. Des exemples ? Dans la capitale, depuis quelques années déjà, les lieux trendy ont clairement piquer quelques détails majeurs du style Memphis. L’épicerie chic la Maison Plisson ou la boutique de prêt-à-porter, Kitsuné Paris, ont fait le choix du terrazzo pour leurs murs . Ce revêtement composé de mélanges de pierres naturelles, de marbre coloré et de ciment, le tout poli, fut très apprécié par le mouvement Memphis pour son côté organique et coloré. C’est de nouveau cet effet tacheté, imparfait, brut et authentique qui séduit les boutiques branchées. De nos jours le terrazzo ne se contente plus du rôle de revêtement, il apporte un zeste d’élégance brut au mobilier et aux objets. D'autres boutiques récentes comme Louvreuse, une nouvelle marque de maroquinerie made in France, ou la première boutique d'Amélie Pichard à Paris, se sont inspirés de quelques codes du fameux style : ne pas en avoir, chérir les touches déco fun capables de transcender le mauvais goût.
Côté déco pur, chacun y va de son hommage à ce clan qui marqua la fin du siècle dernier en offrant une bulle anti conformiste à l'univers du design. Les codes sont là : les formes graphiques déroutantes jetées ici et là sur des papiers peints ou des parures de lit, des fauteuils et tables basses qui jouent à fond la carte du déstructuré sans oublier la vaisselle aux formes surréalistes. Certains n'y verront qu'une copie sans âme d'un style qui en chercher un à tout prix. Pour les sceptiques, il restera toujours, la marque Memphis Milano qui propose sur son site toutes les créations du mouvement.
Crise de nostalgie éphémère ou simple envie de fantaisie et de peps dans notre intérieur, seul l’avenir nous dira si ce retour au style Memphis sera de nouveau de courte durée… ou pas ! En attendant, découvrez comment le mouvement continue d'inspirer la sphère déco et d'apporter une touche décalée à nos intérieurs en panne d'imagination...