Si Pierre Paulin a eu les honneurs du président Pompidou dès 1971 pour redécorer le palais de l’Élysée, c'est la première fois qu'il est mis à l'honneur dans ce temple de l'art contemporain qu'est le Centre Pompidou. C'est même la première fois que ce designer, dont la carrière s'étale sur près d'un demi siècle, profite d'une rétrospective digne de ce nom en France. Pourtant sa carrière est l'une des plus prolifiques du XX ème siècle. Lui qui dessinait pour tous est aujourd'hui partout, entré dans nos décors quotidiens comme dans notre mémoire collective. Au cinéma, James Bond s'assied dans du Paulin. Au musée du Louvre, les visiteurs s'asseyent dans du Paulin. Dans les boutiques, les grandes marques rééditent les assises phares de Paulin comme le Day Bed chez Ligne Roset. Son incroyable modernité, son amour de la technique et son caractère de visionnaire ont assis pour toujours son nom dans le panthéon des grands designers.

L’œuvre de Pierre Paulin prend place dans la galerie sud du Centre Pompidou. Sur près de 800 m², le visiteur est invité à déambuler parmi une centaine d'objets et mobilier du designer. Entre maquettes et dessins, le petit chanceux peut même s'y asseoir. Expérience précieuse que ce corps lové dans du Paulin qui regarde sur un écran les créations du maître défilées. Il n'y a d'ailleurs pas meilleure expression pour qualifier ces sièges que « prendre au corps ». Ces sièges, dont les plus cultes ont été réalisés au mitan des années 60, s'emparent littéralement du corps de celui qui s'y assoit. C'est le cas du mythique fauteuil "Globe" produit par Artifort qui s’installera aussi bien une salle de réunion de la Maison de la Radio que dans un décor de James Bond. Pierre Paulin l'a pensé comme « une bulle d'intimité » avec son élégante coque arrondie montée sur un piétement circulaire chromé. Quand on s'y love aujourd'hui, il émane un fabuleux sentiment de nostalgie, comme des décors heureux des Trente Glorieuses qui remontent à la surface. C'est aussi ça, l'esprit Pierre Paulin : savoir anticiper, penser à demain le tout lors d'une époque formidable.

Vidéo du jour

 Fauteuil Mushroom Pierre Paulin

Fauteuil F560 dit Mushroom, 1960 Armature en tube d’acier, garnissage en mousse de polyuréthane, revêtement crêpe de laine et élasthanne / Editeur : Artifort Centre Pompidou, Paris Don d’Artifort, 1992 / © Coll. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne / Photo: Bertrand Prévost

Un designer guidé par la modernité scandinave

Jeune à l'aube des années 50, l'homme a sillonné la Suède et découvert son goût pour la modernité, qui n'était toujours pas d'actualité dans la France de l'après-guerre. « Dans les pays nordiques, on assume la modernité » explique t-il dans un documentaire diffusé dès l'entrée de l'exposition. De retour en France, fortement influencé par cette escapade nordique et également par le travail des designers américains comme le couple Eames et leur pratique industrielle du design, Pierre Paulin va commencer par créer un mobilier en bois, simple, fonctionnel et surtout accessible à tous.

Diplômé du Centre d'Art et de techniques, future école Camondo de Paris, il travaille alors dans l'agence Marcel Gascoin et produit « des choses bien faites à des prix modestes ». En quête d'efficacité et de liberté, le jeune designer confie bientôt ses projets à plusieurs éditeurs comme Meubles TV et Thonet France pour qui il réalise de premières assises emblématiques comme le fauteuil en cuir "CM 197" et la chauffeuse en tissu maillé. Il se penche sur la structure du siège, jusqu’à remettre en question la tradition de la tapisserie pour garnir les assises : en 1957 un premier brevet textile est déposé avec Thonet France.

Pierre Paulin révolutionne le siège

Arrive enfin l’année 1958 et la rencontre décisive avec Kho Liang Le, le directeur artistique d’Artifort. Leur collaboration va révolutionner le design. Ils mènent ensemble des recherches sur les housses en textile extensible. Les premiers essais développés à partir de tissu pour maillots de bain se révèlent fructueux. Ce système de housse stretch monobloc, sans couture, révolutionne la manière même de penser le siège. Désormais, les housses s’enlèvent, se lavent, se changent selon les goûts, les couleurs et les saisons. Cette nouvelle technique va devenir la marque de fabrique de Pierre Paulin. L’assise qu’on déshabille et qu’on habille est née, et la marque de fabrique de Pierre Paulin avec.

Sie?ge F577 dit Tongue pierre paulin

Siège F577 dit Tongue, 1967 Armature en tube d’acier, garniture en mousse de latex, revêtement en jersey de polyester / Editeur : Artifort Centre Pompidou, Paris © Coll. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne / Photo: Jean-Claude Planchet

Dans l’exposition, les sièges s’exposent, attirent l’œil et donnent des envies immédiates de s'y blottir. Aussi bien dans le fauteuil "Tongue"(1965) , design lascif reprenant la forme d’une langue qui s’étire que le fauteuil « Globe » (1959), larges dossier et assise pour un confort idéal pensé pour « un voyage méditatif et individuel ». Les formes sont organiques, les couleurs pop, l’effet tonitruant, car Pierre Paulin dépoussière alors le siège, allège sa structure, renouvelle ses lignes. Ce n’est pas pour rien que deux de ces chaises sont déjà exposées au MoMA de New York dès 1969. Les américains sont toujours en avance sur leur temps...

Avec Pierre Paulin, le design fait son entrée à l’Élysée

A l'apogée de sa carrière, Paulin confiait : « J’ai toujours fait mon métier honorablement. En fait, j’aurais voulu être architecte. » En 1969, le Mobilier National lui offre cette possibilité en lui confiant sur la commande du président Georges Pompidou l’aménagement des appartements privés du palais de l’Élysée. Nous sommes après mai 68, en pleine Trente Glorieuses, Pompidou lui aurait dit : « Les français ont besoin de modernité, je vais leur donner l’exemple avec votre aide ». Sa mission se concentrera sur trois pièces, situées au rez-de-chaussée : une salle à manger, un fumoir et un salon bibliothèque. Paulin pourra ainsi synthétiser et mettre en forme lors de cette réalisation toutes ses recherches menées sur l’architecture mobile et réversible et ses expérimentations liées aux plafonds. Voilà comment le designer Pierre Paulin entre à l’Élysée pour la première fois, puisque François Mitterrand fera appel à lui en 1984 pour refaire le bureau présidentiel avec cette fois-ci, la prérogative de revenir à un design plus traditionnelle.

Fauteuil du salon des Tableaux, palais de l'Elyse?e

Fauteuil du salon des Tableaux, palais de l'Elysée, 1971-1972 Armature tubulaire, mousse, cuir retourné / Editeur et collection : Mobilier national et Manufactures des Gobelins, de Beauvais et de la Savonnerie, Paris / © Mobilier national / Photo : Isabelle Bideau

Toutes les expériences éclectiques de Pierre Paulin, du bureau d’un président, au fer à repasser de voyage pour Calor en passant par toute sa gamme de sièges ou ce merveilleux "Tapis-siège" dont les coins relevés servent de dossier, une rencontre surréaliste entre la tapis oriental et le tatami japonais, chacune de ces réalisations formule un même désir : montrer jusqu’où pouvait aller la modernité. L’incroyable production du designer, qui s’étale sur près de 50 ans de carrière, n’est que modernité portée par un dialogue constant entre le corps et le confort. Cet hommage au Centre Pompidou le prouve à tous les visiteurs qui dès la première étape peuvent s’asseoir et se laisser à la rêverie dans les bras des fauteuils signés Pierre Paulin. Indémodable et révolutionnaire, cette œuvre, exposée pour le plus grand plaisir des curieux comme des fans, met en avant la profondeur du travail de toute une vie. Un travail mené à plusieurs. Paulin le dit lui-même dans un documentaire : « Notre travail est un service public, le design est un travail collectif. Ce sont le designer, la technique, le marketing et la direction qui font des choix ensemble, un groupe de gens qui travaille dans la même direction ». Paulin, bien accompagné tout au long de sa carrière, a ouvert une voie intemporelle...

Infos pratiques :

Exposition Pierre Paulin

Du 11 mai 2016 au 22 août 2016

de 11h00 à 21h00 Galerie 3 au Centre Pompidou, Paris