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J’ai de gros, gros problèmes de placards

Hier soir, quand j’ai ouvert la porte de ma penderie pour prendre mon pyjama en pilou (d’ailleurs, il faudrait que je m’achète une nuisette : j’ai une amie qui s’est récemment fait larguer par son mari parce qu’elle dormait en chaussettes), un objet non identifié m’est tombé dessus, me griffant la joue. Il m’a fallu quelques secondes pour le reconnaître : c’était un crucifix en argent massif, acheté en 1985 à une copine de ma grand-mère (j’étais en pleine période Madonna). Je l’ai remis tant bien que mal en haut du placard et là, j’ai failli me faire assommer par une avalanche de cassettes vidéos ("Sissi" 1, 2 et 3 et la série des "Gendarme à Saint-Tropez"). OK, j’avoue, je n’aime pas jeter. Je n’aime pas ranger non plus. Heureusement, ma copine Charlotte, jamais à court de bons plans, vient de m’apprendre qu’il existe depuis peu en France des personnes dont le métier est d’aider les autres à ranger. On appelle ça des "home organiser"... Fou, non ?
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J'appelle une Home organiser à la rescousse

Son métier, c’est de réorganiser les espaces de rangement de ses clients (à 95 % des clientes). Il les aide à vider, trier, repenser la place de chaque chose ; leur fait réaliser ce dont ils ne veulent plus et/ou dont ils n’ont plus besoin ; leur conseille d’ajouter, retirer ou de déplacer les meubles de rangement si c’est nécessaire. Le concept est né au Canada. Je ne savais pas qu’ils étaient si ordonnés que ça, les Canadiens. J’aurais même pensé le contraire : les Québécois disent "serrer ses affaires" pour "ranger ses affaires". Et moi, c’est exactement ce que je fais : je serre. J’ai par exemple une énorme boîte Ikéa dans laquelle je mets tous mes papiers à classer. Mais j’ai beau serrer comme une folle, je n’arrive plus à refermer le couvercle.

Je décide donc d’appeler à la rescousse l’importatrice du concept en France, Cyrille Frémont. Cyrille Frémont est une ancienne peintre décorateur française qui, je le lis sur son site (www.homeorganiser.fr), "a effectué de nombreux séjours de longue durée dans les pays anglo-saxons". C’est sans doute pour cela qu’elle appelle ça "home organiser" et pas "organisatrice d’intérieur".
Au téléphone, elle m’explique qu’il m’en coûtera 200 € pour un devis qu’elle établira chez moi, en deux heures, et qui sera déductible du forfait de 700 € la journée, sachant qu’il faut parfois plus d’une journée pour réorganiser une maison. Je m’étrangle à moitié. C’est pas ben un vrai bargain, comme disent nos amis de Montréal. Mais je ne vois pas d’autre solution : mon mari m’a menacée des pires sévices si je ne range pas ma boîte et mes placards, et l’idée de faire ça toute seule me donne les bleus (le cafard). 700 €, après tout, c’est moins cher qu’un sac Chloé. Rendez-vous est donc pris pour le devis.

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Je lui ouvre ma porte

Cyrille Frémont est une grande jeune femme blonde aux cheveux courts, à l’allure sportive et dynamique. Elle a l’air un peu surprise quand elle entre chez moi. "Vous m’appelez pourquoi exactement ?" Je comprends sa surprise : à l’extérieur, tout est impeccable. C’est alors que j’ouvre mes placards. Là, à son hochement de tête entendu, je sens qu’elle retrouve ses marques. Tous mes vêtements sont en boule, et j’ai une tonne de bébelles (gadgets) inutiles. Elle m’assène : "ranger sa maison, c’est ranger sa tête. Quand on a un problème pour ranger, c’est qu’on a du mal à mettre les choses dans les bonnes cases dans sa tête", me dit-elle. Me voilà bien. "Alors, êtes-vous prête, avez-vous envie d’ouvrir vos placards ?" Euh...

Ensuite, nous descendons à la cave. J’ai honte : ma cave est remplie de sacs de vêtements qui sont probablement en train de se faire dévorer par des bibittes (petites bêtes). Heureusement, Cyrille Frémont me rassure. Mon cas n’est pas désespéré. "Si vous saviez ce que je vois chez les gens !". Elle m’apprend que la plupart de ses clients sont en période de transition : leur vie a changé, ou est en train de changer, ou va changer. Du coup, ils sont obligés de mettre leur intérieur en adéquation avec ce qu’ils ont à l’intérieur. "Ma prestation c’est d’aider les gens à sauter le pas, de leur insuffler une énergie, un peu comme Mary Poppins." Oui, mais moi, je ne suis pas du tout en période de changement, ou alors je ne m’en rends même pas compte, ce qui est inquiétant...
De retour à l’appartement, nous nous asseyons pour discuter sur mon canapé. D’après elle, une journée de travail suffira pour tout réorganiser, cave comprise. Je n’ai plus qu’à dire OK. De toute façon, je lui dois déjà 200 €, alors si je m’arrête là, ça n’aura pas servi à grand-chose !

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J’ai des scrupules à payer quelqu’un pour ranger à ma place

J’ai quand même des scrupules à payer quelqu’un pour ranger à ma place. C’est probablement mon éducation judéo-chrétienne. Je trouve ses services quelque peu dispendieux. Ce n’est pas comme si j’avais beaucoup de bacon sur mon compte en banque ! D’ailleurs, dis-je, si mon mari savait que je fais appel à un "home organiser", il m’étranglerait. Elle me regarde d’un air désolé, genre je vous plains d’être mariée à un homme si violent. Et m’explique que le métier de "home organiser" est un vrai service à la personne, qu’il n’y a que les Français pour penser qu’ils savent tout faire et qui ont honte de payer quelqu’un pour les aider dans leurs tâches de rangement. Un "home organiser", pour elle, c’est comme un comptable : savoir ranger relève autant d’une compétence que savoir compter, et être mauvais en rangement, c’est comme être mauvais en maths. Ce n’est donc pas parce qu’on ne range pas qu’on est paresseux.
Cyrille Frémont a beau être très smatte (sympathique), je ne suis qu’à moitié convaincue par sa théorie. Et puis, avec les 500 € qu’il me faut encore débourser, je pourrais me payer 50 heures de ménage, ou même 10 séances de psychothérapie (ce dont, visiblement, j’ai besoin !). Résultat, je bredouille : j’ai besoin de réfléchir, il faut que j’en parle à mon mari. Cyrille Frémont argumente qu’une femme de ménage ne pourra pas trier mes affaires à ma place. Je sais bien qu’elle a raison, mais je n’arrive pas à sauter le pas.

Et voilà, c’est malin. J’ai dépensé 200 € et pas un placard n’est rangé. Je me sens encore plus coupable qu’avant. En fait, mon problème, c’est que je suis trop française.

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