Andrée Putman, l'incarnation intemporelle de la “French Touch”

Par Isabelle Soing
Andrée Putman
Mèche crantée, veste épaulée et port altier, Andrée Putman, pianiste devenue designer a dépoussiéré le chic parisien et incarné, des hôtels au mobilier, la “French Touch”. À son image, élégante, stylée et audacieuse.

Rien ne destinait la jeune fille de bonne famille – père normalien, mère pianiste – à devenir diva du design le jour et “la Grande Dédée” la nuit, égérie du Palace et des noctambules des 80’s, parmi lesquels le futur décorateur Vincent Darré alors étudiant ! Harpiste et pianiste douée, la rebelle sèche le Conservatoire, vide sa chambre des bergères Louis XV pour du Knoll et se fait l’oeil dans la presse féminine et déco. Puis elle monte en gamme en écrivant dans la revue “L’OEil”. Rencontré en 1958, Jacques Putman, éditeur et collectionneur qui lui présente ses amis, dont Bram Van Velde, nourrit sa curiosité pour l’art moderne. En 2007, tandis que sa fille Olivia la rejoint aux rênes du Studio Putman, elle revient à sa première passion avec “Voie lactée” : un Pleyel demi-queue au couvercle constellé d’étoiles, avec une voie lactée indigo et bleu nuit – concession à la couleur de cette fondue du gris et beige – et un pupitre habillé de son emblématique damier noir et blanc.

“Voie lactée”, un piano d’exception pour Pleyel.

“C’est là que j’ai appris bien des choses sur le vide.” De ses étés à l’abbaye cistercienne de Fontenay, propriété familiale, raconte sa biographe Sylvie Santini (1), Andrée Putman gardera l’obsession de la géométrie, le goût de l’épure, le sens de la lumière dans l’espace… Et dira-t-elle, “la plus grande méfiance à l’égard des affreux excès de surenchère” (2). Pionnière, elle rend désirable la vie en loft à la fin des années 70, en emménageant dans une ancienne imprimerie à Saint-Germain. Cette sobriété imprégnée d’architecture spiritualiste transparaît dans ses aménagements et le mobilier créé au CAPC, le musée d’art contemporain de Bordeaux, un ancien entrepôt de 1824 aux allures de cathédrale.

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Du beau au prix du laid

Styliste en 1958 pour Prisunic, Andrée Putman fait sien le mantra de Denise Fayolle – à la tête de la direction artistique des magasins, et qui l’engagera à l’agence Mafia. De sa belle voix grave comme sa mère, Olivia confie : “Raconteuse d’histoires, curieuse des autres, visionnaire, elle « twiste » les formes et redonne un supplément d’âme aux classiques.” Andrée réinterprète des lampes Bauhaus chinées aux puces – “comme les verres bleus qu’elle collectionne” – et imagine les suites Prisunic : des lithographies, tirées à 300 exemplaires de Bram Van Velde, à 100 francs ! Aux côtés de son ami Didier Grumbach, qui rêve que les jeunes créateurs de mode soient reconnus au même titre que les couturiers, elle lance Mugler, Alaïa… et, ajoute Olivia, “un fabuleux concept-store de 800 m2 avant l’heure, rue de Rennes, en 1973”.

Damier cinétique dans les salles de bains de l’hôtel Morgans à New York (1984).

New York, 1984. Sa première rénovation d’hôtel, le Morgans, en boutique-hôtel avant la lettre, fait le buzz. Son damier noir et blanc – du carrelage métro bon marché – lance sa carrière internationale. 1993, back to New York en vol supersonique : pour relooker le “Concorde”, Andrée Putman imagine une enveloppe protectrice coiffant les sièges et une moquette géométrique. Pied de nez au luxe ostentatoire, le plateau- repas est habillé d’un carton au plissé délicat et d’une simple ficelle pour les couverts en argent !

“J’aime le beau et l’utile, et plus encore, le beau dans l’utile.” 

Outre sa société Ecart International créée en 1978, pour rééditer des designers des années 30 (Eileen Gray, Jean-Michel Frank…) qu’elle vénère, cette “archéologue de la modernité”, comme elle se définit, a touché à tout : bijoux, vaisselle, résidences privées, mobilier néo-Art déco, bureaux… En 1993, elle redonne ses volumes d’origine au musée des Beaux-Arts de Rouen et sa splendide verrière abritant le jardin des sculptures. “Éclairage indirect, sol en granito… ses interventions, discrètes mais intemporelles, n’ont pas vieilli”, apprécie Sylvain Amic, son directeur. “J’aime le beau et l’utile, disait Andrée Putman, et plus encore, le beau dans l’utile.”

(1) “Andrée Putman, la diva du design” de Sylvie Santini, éd. Tallandier.(2) “Air France, l’envol de la modernité” de Dominique Baqué, éd. du Regard.

Reportage paru dans le n° 529 de Marie Claire Maison

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